Vera Sharav, survivante de la Shoa, est « recherchée » par les procureurs allemands pour avoir donné l’heure juste
Manigances juridiques : Les procureurs de Nuremberg suspendent l’enquête « pour le moment », puis inscrivent une survivante de l’Holocauste sur la liste des « personnes recherchées pour interrogatoire », ce qui fait d’elle une suspecte.
La parodie juridique se poursuit. 15 mois après avoir prononcé un discours puissant condamnant l’expérimentation médicale sans consentement éclairé et mettant en garde contre la résurgence du totalitarisme et des politiques génocidaires, 75 ans après la publication du code de Nuremberg, Vera Sharav, survivante de l’Holocauste, continue d’être l’objet de harcèlement et d’intimidation de la part des procureurs de l’État de Bavière :
En vertu du droit allemand, les procureurs d’État sont soumis aux ordres du gouvernement politique. La Bavière est l’un des 16 États fédéraux d’Allemagne, et son gouvernement d’État est situé dans la capitale Munich, qui a été « la capitale du mouvement (nazi) » pendant le « Troisième Reich ». C’est à Nuremberg, sa deuxième ville, que le procureur de district a été chargé d’évaluer le bien-fondé d’une accusation pénale d’ « incitation du peuple » et de « banalisation de l’Holocauste » après que Vera Sharav a pris la parole lors de la commémoration des « 75 ans du Code de Nuremberg », le 20 août 2022.
Immédiatement après, Mme Sharav a été signalée à la police pour « banalisation de l’Holocauste » par Jim G. Tobias, selon un article de presse local paru dans Nuernberger Nachrichten. M. Tobias, journaliste et « fondateur de l’Institut de Nuremberg pour les études sur l’Holocauste (Nurinst), est cité par le journal (qui n’hésite pas à utiliser les mêmes bureaux que ceux occupés autrefois par Julius Streicher dans le tristement célèbre Gauhaus):
« Jim G. Tobias, directeur de l’institut, considère le contenu du discours comme une dénégation et une relativisation de la Shoa, ainsi que comme une violation du paragraphe relatif à l’incitation du peuple. il s’agit d’une infraction pénale claire dont il n’y a pas lieu de discuter », déclare-t-il.
Nuernberger Nachrichten, 26 août 2022
Article dans Nuernberger Nachrichten le 26 août 2022 : SUSPICION D’INCITION DU PEUPLE : « L’intervenante a nié et relativisé la Shoa »
Il a fallu 15 mois aux procureurs pour décider de la suite à donner à ces accusations. Ils ont d’abord dû faire traduire le discours par la police de Nuremberg (alors qu’il était disponible en ligne en allemand dès que Vera Sharav a prononcé le premier mot sur la scène). Près d’un an s’est écoulé avant que le travail ne soit terminé et qu’une décision formelle ne soit prise : commander une autre traduction, une traduction officielle, nécessaire pour décider d’ouvrir ou non une enquête formelle. Cette traduction a été achevée en septembre 2023.
« Nous avons suspendu l’enquête pour le moment », a déclaré un porte-parole du procureur général, vendredi. « Mme Sharav a été inscrite sur une liste de personnes recherchées par la police. Il ne s’agit pas d’un mandat d’arrêt. Nous la recherchons pour l’interroger », a poursuivi le porte-parole.
Plusieurs éléments semblent rendre cette affaire très inhabituelle.
Le Nurinst a longtemps éprouvé des difficultés de financement et était sur le point de cesser ses activités en 2019. Depuis 2020, l’organisation reçoit des fonds de la ville de Nuremberg, ce qui soulève des questions quant à une éventuelle intervention politique visant à discréditer un critique éminent et gênant.
Il convient donc d’examiner si la ville de Nuremberg est intervenue pour des raisons politiques afin que le directeur de l’institution, qui dépend manifestement de fonds publics, porte plainte, au lieu d’analyser les raisons très détaillées qu’avait Vera Sharav de dresser des parallèles (comme on aurait pu s’y attendre de la part d’une organisation dédiée à étudier l’Holocauste et à honorer le devoir des survivants de dénoncer toute dérive qui puisse mener à un nouvel Holocauste).
Il faut également tenir compte du fait que le gouvernement bavarois pourrait avoir demandé au procureur de l’État de maintenir l’enquête contre Vera Sharav essentiellement ouverte en l’inscrivant sur la liste des personnes « recherchées » pour interrogatoire.
« Vera Sharav est manifestement considérée comme une suspecte ». Cette évaluation de la décision des procureurs a été faite par le professeur de droit Martin Schwab. S’ils ne l’avaient pas fait, les procureurs auraient purement et simplement rejeté la plainte pour absence de fondement. La décision de « suspendre l’affaire pour le moment » tout en inscrivant Mme Sharav sur la liste des personnes « recherchées pour interrogatoire » doit se voir comme une tentative par les pouvoirs publics d’éviter une réaction hostile du public, ce qui aurait certainement été la conséquence d’un mandat d’arrêt officiel à l’encontre d’une survivante de l’Holocauste. « Interroger Vera Sharav dans le cadre d’une enquête sur des accusations d’incitation et de banalisation de l’Holocauste [que son discours est supposé avoir constitué] nécessitera de l’informer de ses droits à ne pas s’incriminer elle-même », a commenté M. Schwab.
Il est impossible de ne pas considérer Vera Sharav comme suspecte du crime présumé et, par la même occasion, de vouloir l’interroger à ce sujet. Si vous avez lu le discours, ou mieux, si vous avez regardé l’enregistrement, c’est « l’un ou l’autre ». Par conséquent, les procureurs doivent essentiellement avoir décidé de considérer Vera Sharav comme une suspecte.
Ou avoir reçu un ordre en ce sens.
Dans les deux cas de figures, il s’agit ni plus ni moins d’un scandale.
La justice bavaroise considère en fait une survivante de la Shoah comme suspecte du crime de banalisation de l’Holocauste ! Une survivante qui a perdu son père dans un camp et qui a mis en garde contre les parallèles inquiétants entre cette époque et aujourd’hui, et contre le risque que tout cela ne se reproduise.
Cet article est repris avec l’aimable autorisation de l’auteur
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